100 milliards de dollars pour garantir la sécurité de l'approvisionnement en eau dans un monde en proie au changement climatique

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Image: WaterAid/Panos/GMB Akash

Sécheresses, inondations, cyclones ou montée du niveau des mers : le changement climatique fait peser des menaces évidentes sur les services d'eau et d'assainissement. Mais ne nous permettrait-il pas également d'aborder la question du développement sous un autre angle ? Louise Whiting, analyste principale des politiques de WaterAid pour la sécurité de l'eau et le changement climatique, explore cette question et présente les dernières recherches relatives à la relation entre le financement lié au climat et la sécurité de l'eau.

Cent milliards de dollars représentent indiscutablement beaucoup d'argent. Si la communauté mondiale possédait un avion qui larguerait 200 dollars chaque minute de la journée, il faudrait 950 ans avant que l'argent ne soit complètement épuisé. Mais nous pourrions en faire quelque chose d'un peu plus utile et c'est ce que WaterAid espère accomplir avec les 100 milliards de dollars par an qui ont été promis pour lutter contre le changement climatique.

Le changement climatique est un problème lié à l'eau. D'ailleurs, on pourrait même l'appeler « changement de l'eau ». Les sécheresses, les inondations, les cyclones et la salinité des eaux souterraines sont autant de problèmes qui devraient s'aggraver avec le changement climatique. En toute logique, l'argent disponible pour aider les pays pauvres à s'adapter devrait donc servir à garantir un accès universel à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène, à réduire les menaces liées à l'eau et, ce faisant, à renforcer la sécurité globale de l'eau.

Mais un nouveau rapport de WaterAid montre que l'argent n'est pas dépensé pour renforcer la sécurité de l'eau. En fait, des recherches approfondies menées au Bangladesh, en Éthiopie et en Zambie montrent que les projets axés sur l'amélioration de la sécurité de l'eau ne représentent qu'une faible proportion du financement global de la lutte contre le changement climatique. Dans les basses terres du Bangladesh, par exemple, moins de la moitié des fonds sont consacrés à la sécurité de l'eau, et ce chiffre est encore plus bas en Éthiopie et en Zambie, où seulement 11 % et 3 % de l'argent y sont alloués, respectivement.

Le changement climatique, l'eau et la pauvreté sont intimement liés

Lors d'un récent voyage au Bangladesh, j'ai pu constater de visu à quel point les communautés sont vulnérables aux menaces climatiques telles que les cyclones et les inondations, et combien il est important d'avoir accès à l'eau potable, à l'hygiène et à l'assainissement. Prenons par exemple l'histoire de Shusmita Mandal, 10 ans. En mai 2009, le cyclone Aila a frappé la région côtière du sud-ouest du Bangladesh, tuant plus de 300 personnes et délogeant des milliers d'autres. Shusmita vivait avec son père dans le district de Koira. Le cyclone est arrivé juste au moment où ils essayaient de reconstruire leur vie après le cyclone Sidr, 18 mois plus tôt. Lorsque Aila a frappé, Shusmita et son père ont dû fuir leur maison et s'abriter sur la berge d'une rivière.

Leur vie sur la berge était dure et, comme des millions d'autres personnes dans le monde, Shusmita et son père étaient obligés de s'approvisionner en eau non potable. En outre, ils n'avaient aucun endroit prévu pour aller aux toilettes. Shusmita a dû marcher plus d'un kilomètre pour trouver de l'eau potable, car les puits situés près de leur nouveau domicile étaient contaminés.

L'histoire de Shusmita me rappelle avec force que les personnes qui ont peu contribué au changement climatique sont celles qui sont le plus durement touchées par ses effets dévastateurs. Elle illustre également pourquoi les fonds mondiaux qui sont mobilisés pour aider les communautés à s'adapter au changement climatique doivent servir à améliorer la sécurité de l'eau, ce qui inclut l'accès à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène.

Le financement climatique représente une énorme opportunité pour le développement

Trois coûts sont associés au changement climatique. Il s'agit du coût de la réduction de la quantité de gaz à effet de serre rejetée dans l'atmosphère (coûts d'atténuation), du coût de l'aide apportée aux populations pour faire face aux changements climatiques qui se produisent déjà (coûts d'adaptation), et d'un troisième coût, plus insidieux, qui est celui de la souffrance humaine endurée par les populations pauvres qui n'ont que peu de moyens de s'adapter alors que le climat continue de changer.

Si nous voulons voir les réductions drastiques de la pauvreté et de la souffrance qui sont nécessaires pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), la communauté mondiale doit investir massivement dans les activités d'atténuation et d'adaptation.

Plus de 100 pays ont promis de mobiliser 100 milliards de dollars chaque année à partir de 2020 pour financer à la fois l'adaptation et l'atténuation. Cet important transfert de richesses de l'hémisphère Nord vers l'hémisphère Sud nous offre l'occasion de nous focaliser sur nos objectifs de développement d'une manière durable et efficace face à un avenir climatique incertain.

Le développement consiste à rendre les gens plus sains, plus riches, mieux éduqués et plus sûrs de leur approvisionnement en eau. C'est d'ailleurs l'ambition des ODD. En ayant accès aux services de base et en sortant de la pauvreté, les gens développeront en parallèle une plus grande capacité à faire face au changement climatique. En d'autres termes, l'adaptation au changement climatique et le développement vont de pair.

Le financement international des mesures d'adaptation doit donc servir à atteindre les ODD d'une manière qui soit efficace pour le changement climatique. Cela signifie que les besoins les plus fondamentaux des populations en matière de développement, tels que l'accès à des services durables d'eau, d'assainissement et d'hygiène, doivent être satisfaits avant que l'argent ne soit dépensé pour des projets d'adaptation plus spécifiques, tels que des semences résistantes à la sécheresse ou l'élévation de digues existantes.

Une route gorgée d'eau au Bangladesh

WaterAid/Habibul Haque
Une route gorgée d'eau au Bangladesh après le cyclone Aila.

Des améliorations sont possibles

L'opportunité évidente d'utiliser les fonds mondiaux dédiés à la lutte contre le changement climatique pour financer un développement adapté au climat et l'amélioration de la sécurité de l'eau n'est pas pleinement exploitée. De nouvelles recherches ont identifié plusieurs facteurs liés à l'offre et à la demande qui bloquent les progrès.

Dans de nombreux pays, il n'existe pas de cadre politique clair pour la sécurité de l'eau et il est souvent difficile de déterminer qui est responsable de l'intégration de l'eau dans les plans et processus d'adaptation. En outre, différents secteurs tels que la santé, l'éducation et l'eau, l'assainissement et l'hygiène ne travaillent pas ensemble comme il le faudrait pour garantir une approche coordonnée de l'adaptation au changement climatique. Enfin, et surtout, les pays manquent de compétences et d'expérience pour mettre sur pied des projets de sécurité de l'eau à grande échelle qui seraient éligibles au financement de la lutte contre le changement climatique.

Au niveau international, les fonds et leurs donateurs doivent également jouer leur rôle. Lorsque les systèmes nationaux ne sont pas suffisamment développés, les fonds mondiaux devraient apporter un soutien pour les renforcer. Les pays font souvent état d'une certaine confusion quant aux types de projets pouvant bénéficier d'un financement. Les fonds mondiaux pourraient donc mieux expliquer comment le financement de la lutte contre le changement climatique peut être utilisé pour aider les pays à atteindre leurs objectifs de développement. Les fonds peuvent également aller plus loin en s'assurant que les gouvernements conçoivent leurs propres plans pour aider les communautés à s'adapter au changement climatique. Enfin, ils devraient donner la priorité aux pays dont la capacité à atteindre les ODD sera la plus entravée par le changement climatique.

Une occasion à ne pas manquer

De nombreux pays dans lesquels WaterAid opère ne sont pas très doués pour gérer leur eau. Le plus souvent, ils en possèdent une grande quantité, comme le Bangladesh, mais elle est inégalement répartie, de plus en plus sale et il n'y a pas de règles claires sur le partage de l'eau. Sans une gestion équitable et efficace des ressources en eau, Shusmita, 10 ans, et des millions d'autres personnes comme elle, continueront à vivre dans l'insécurité vis-à-vis de l'eau et à être très vulnérables au changement climatique.

L'argent qui a été promis pour aider les populations à faire face au changement climatique représente une occasion unique pour les dirigeants mondiaux d'étendre l'accès à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène, d'améliorer la façon dont les ressources en eau sont gérées et de faire en sorte que les services d'eau perdurent, peu importe ce qui arrive au climat.

Retrouvez Louise Whiting sur Twitter : @louwahwah