Donner la priorité à l'assainissement géré en toute sécurité en renforçant les politiques, les réglementations et les ressources

Temps de lecture : 5 minutes
Image: WaterAid/ Nelson Owoicho

Dans les pays les moins avancés, les progrès doivent être multipliés par quinze pour que tout le monde dispose de toilettes gérées en toute sécurité d'ici 2030. Aussi, des experts de WaterAid et de l'UNICEF se sont réunis pour aborder certains points souvent négligés dans les services d'assainissement, et les avancées qui seront nécessaires pour atteindre l'ODD 6.2.

Près de la moitié de la population mondiale, soit environ 3,6 milliards de personnes, n'a pas accès à des installations sanitaires sûres. Parmi celles-ci, plus de 1,7 milliard ne disposent pas de l'assainissement de base (soit des toilettes propres et privées) et près de 2 milliards utilisent des toilettes sans évacuation ou reliées à des égouts qui fuient. Dans les deux cas, les déchets humains ne sont pas vidangés, transportés ou traités correctement et peuvent donc se déverser dans les plans d'eau et les environnements proches des lieux de vie.

La communauté mondiale travaille à la réalisation de l'ODD 6.2, qui vise à ce que tout le monde ait accès à des toilettes gérées en toute sécurité d'ici 2030. Hélas, les progrès sont si lents que dans les pays les moins avancés, on estime que les efforts doivent être multipliés par quinze pour atteindre cet objectif dans les délais.

Si toutes les preuves qui mettent en évidence les bénéfices sanitaires, environnementaux et économiques d'un assainissement sûr ne suffisaient pas, les récentes épidémies de choléra dans des pays comme le Malawi et le Mozambique devraient nous amener à nous poser la question suivante : « Pourquoi l'assainissement n'est-il PAS une priorité ? »

En février 2023, des représentants d'agences gouvernementales, de services publics et d'entreprises privées, ainsi que des chercheurs et des partenaires de développement, se sont réunis à Abidjan, en Côte d'Ivoire, pour souligner la lenteur des progrès et la nécessité d'accorder une plus grande priorité à l'assainissement.Réunis à l'occasion de la 7e Conférence internationale sur la gestion des boues de vidange (combinée pour l'occasion avec le 21e Congrès international de l'Association africaine de l'eau), ces acteurs ont discuté des nombreuses facettes qui sous-tendent la fourniture des services d'assainissement, en mettant particulièrement l'accent sur les systèmes autonomes nécessaires dans les zones qui ne sont pas reliées aux égouts.Sur la base des sessions de la conférence – certaines organisées par l'UNICEF, WaterAid et d'autres partenaires, nous avons mis en évidence un certain nombre de questions qui ne reçoivent pas toujours l'attention qu'elles méritent : le double avantage de la réforme des politiques ; le lien entre réglementation, données et redevabilité ; et la nécessité de disposer de ressources financières et humaines adéquates.

Kena Mondol, 55, stands in front of a climate-resilient toilet facility near his home in Kaliganj, Bangladesh. Image: WaterAid/ Fabeha Monir

Les avantages de la réforme des politiques

Des politiques bien conçues sont essentielles pour orienter et développer la fourniture de services d'assainissement, mais aussi clarifier les rôles et les responsabilités en la matière. Cependant, la réforme des politiques est souvent axée uniquement sur les résultats et confiée à des consultants externes, ce qui n'est pas idéal pour faire passer toute nouvelle recommandation émise au premier plan.

Pourtant, le processus de réforme politique est aussi important que les résultats eux-mêmes. En effet, lorsqu'il est bien géré, il peut susciter l'adhésion et l'engagement des différents niveaux de gouvernement. Ce point est souligné dans les directives de la politique d'assainissement en Afrique de l'AMCOW, qui sont actuellement suivies dans de nombreux pays africains. Il a aussi été illustré par le Dr Doris Bah de la direction de l'hygiène environnementale du ministère de la santé et de l'assainissement de la Sierra Leone. Dans ce pays, le processus consultatif d'élaboration des lignes directrices de la politique d'assainissement a permis d'établir des relations productives entre les ministères concernés. Cela a conduit à la création d'un groupe de travail technique chargé de faire avancer l'assainissement dans le pays.

L'expérience a été similaire au Ghana, où l'implication des parlementaires dans la réforme des politiques a permis d'obtenir des engagements facilitant la résolution des retards habituels et des réticences liées à l'approbation des politiques, et la mise en place des mesures nécessaires à leur déploiement. Plusieurs présentations ont également souligné la nécessité d'inclusivité dans le processus de réforme des politiques, qui doit impliquer tous les genres et les autres groupes vulnérables dans le processus de développement.

Le lien entre réglementation, données et redevabilité

Les nouvelles politiques doivent ensuite être traduites en règles légales. Yvonne Magawa, membre de l'Association des régulateurs de l'eau et de l'assainissement d'Afrique orientale et australe, compare cela au code de la route. La réglementation nous indique comment les acteurs et les services doivent se comporter lorsqu'il s'agit de fournir des services d'assainissement, mais, sans données, impossible de savoir quels sont les systèmes et les services existants, ni dans quelle mesure les prestataires de services respectent la réglementation, une fois qu'elle est établie. Malheureusement, peu de pays disposent de ressources suffisantes pour la collecte et la gestion de telles données.

Gangalappa, 50, is a sanitation worker who performs manual sewer servicing to clear blockages in Bangalore, India. Image: WaterAid/CS Sharada Prasad/Safai Karmachari Kavalu Samiti
Jacques Kambou, 39, who builds and empties latrines, holds some of his working tools in Moussodougou, Burkina Faso. Image: WaterAid/Basile Ouedraogo

Des ressources financières et humaines sont requises

Les ressources limitées affectent l'assainissement dans son ensemble. En 2020, peu de pays ont déclaré disposer de ressources humaines et financières suffisantes pour mettre en œuvre leurs politiques et leurs plans d'assainissement : seuls 7 % des nations disposaient des fonds nécessaires aux politiques d'assainissement urbain, et ce chiffre est de 3 % seulement pour les politiques rurales selon le dernier rapport GLAAS. Les niveaux d'investissement actuels doivent au moins tripler pour que les pays disposent des ressources financières nécessaires à la réalisation de l'ODD 6.2 au cours des sept prochaines années.

S'il est plus difficile de dire dans quelle mesure les ressources humaines doivent augmenter, une chose est sûre : la pénurie est monumentale. Shaka Bakabulindi, secrétaire général de l'Association panafricaine des acteurs de l'assainissement, a aussi souligné qu'il était vital que tous les acteurs disposent des compétences et des capacités nécessaires. Une exposition présentée lors de la conférence a mis en lumière la lacune la plus flagrante en matière de ressources humaines pour l'assainissement : les conditions de travail dangereuses et indignes auxquelles sont confrontés les vidangeurs manuels informels.

La lenteur des progrès en matière d'assainissement nécessite un changement monumental d'ambition et d'approche, et ces trois domaines ne sont qu'une pièce du puzzle qui permettra d'inverser la tendance et de reléguer l'assainissement médiocre aux livres d'Histoire.

L'UNICEF et WaterAid tentent de remplir leur rôle. La feuille de route 2022-2030 de l'UNICEF pour un assainissement géré en toute sécurité et la stratégie globale de WaterAid sur 2022-2032 ont toutes deux pour objectif de transformer la vie de milliards de personnes grâce à de meilleurs services d'assainissement. Les deux organisations collaborent également étroitement dans plusieurs pays pour réunir le gouvernement et d'autres acteurs clés afin d'évaluer les politiques et les stratégies d'assainissement existantes afin de mener les réformes requises, le développement de protocoles pour un assainissement géré en toute sécurité et le plaidoyer pour une adhésion politique de haut niveau pour l'accès à un assainissement géré en toute sécurité.

Nous espérons que ces efforts et d'autres efforts similaires contribueront à catalyser le changement. Pour accélérer les progrès vers un assainissement géré en toute sécurité, il faut que les gouvernements et les donateurs accordent une grande priorité à l'assainissement, réforment les politiques et les réglementations et décuplent les ressources financières et humaines consacrées à l'assainissement.

  • Laura Kohler est conseillère de programme pour l'assainissement chez WaterAid
  • Andrés Hueso González est analyste senior des politiques d'assainissement chez WaterAid
  • Ann Thomas est cheffe d'équipe pour l'assainissement et l'hygiène au sein de la division du programme EAH de l'UNICEF
  • Andrew Narracott est spécialiste EAH - Assainissement à l'UNICEF

Image du haut : Rose Isa, 42 ans, commerçante, espère que ses enfants auront accès à l'eau et à des toilettes dignes. Guzape, Nigeria. Septembre 2020