Les minorités sont-elles perdantes dans les travaux d'assainissement amélioré ? Appels à l'action pour le Bangladesh

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Sajib returning from a manual pit emptying job with bucket, spade and bicycle (pseudonym used to protect anonymity).
Image: Sally Cawood

S'appuyant sur une étude réalisée avec WaterAid en février–mars 2020, Sally Cawood, Malisha Farzana, Faisal Naeem et Hossain I. Adib réfléchissent aux défis auxquels sont confrontés les vidangeurs manuels de latrines à fosse, et aux actions clés pour favoriser l'amélioration des opportunités d'emploi pour les travailleurs de l'assainissement marginalisés au Bangladesh.

Se concentrer sur la santé, la sécurité et la dignité de tous les travailleurs de l'assainissement et des déchets est vital pour réaliser le droit humain à un travail décent et à un assainissement sûr pour tous. Ceci est particulièrement important pour ceux qui travaillent dans la vidange manuelle, c'est à dire l'enlèvement des fèces humaines des latrines à fosse, des fosses septiques, des égouts et des drains à la main ou avec des outils de base. Malgré l'attention croissante portée au niveau mondial sur la situation critique des travailleurs de l'assainissement, notamment pendant la pandémie de COVID-19, cette étude et des recherches antérieures montrent qu'au Bangladesh et ailleurs en Asie du Sud, les minorités religieuses et ethniques qui effectuent des travaux dangereux de vidange manuelle ne sont pas toujours en mesure de bénéficier des améliorations (telles que la mécanisation) de l'assainissement urbain ou d'accéder à d'autres moyens de subsistance.

Au Bangladesh, les communautés Harijan (hindous de basse caste) et musulmanes marginalisées continuent de travailler dans des conditions précaires, et même craignent de perdre leur emploi lors du passage de la vidange manuelle à la vidange mécanique des fosses. Pourquoi en est-il ainsi, et que peut-on faire pour soutenir ces travailleurs, leurs familles et leurs communautés ?

A mechanical Vacutag truck, Sakhipur, Bangladesh.
Un camion mécanique Vacutag, à Sakhipur, au Bangladesh.
Image: Sally Cawood

Notre étude apporte un éclairage sur ces questions importantes. Nous avons constaté que ce manque d'opportunités, en particulier pour les vidangeurs Harijan, est lié non seulement à une discrimination permanente liée à l'identité, à la profession et au lieu de résidence, mais aussi au népotisme et à la corruption, certains déclarant avoir dû payer des recruteurs locaux pour accéder aux travaux de nettoyage municipaux, y compris sur les camions mécaniques en tant que conducteur ou aide : « Vous n'aviez pas à payer pour obtenir un emploi avant », d'après un vidangeur homme, à Saidpur. Les schémas de travail irréguliers et la sous-traitance informelle, une pratique également documentée en Inde, sont d'autres préoccupations, comme l'a rapporté un vidangeur homme de Thakurgaon :

Le travail est confié à d'autres communautés. Et en plus de cela, ils nous sous-traitent les travaux sales avec une partie de l'argent qu'ils reçoivent.

La réduction du travail manuel (bien que dangereux et dégradant) a eu des répercussions sur les revenus et les dépenses, certains travailleurs affirmant que « sauver l'environnement [grâce aux camions mécaniques] est devenu la cause de la mort de nos estomacs, », d'après un vidangeur homme, à Saidpur. Alors que la formation et le développement des compétences assurés par les gouvernements locaux et les organisations non gouvernementales (ONG) ont amélioré la santé et la sécurité au travail, et ont cherché à faire passer les vidangeurs manuels à un travail amélioré (mécanique plutôt que manuel), ces initiatives sont souvent menées à petite échelle dans quelques municipalités. En l'absence de garanties d'opportunités d'emploi à long terme pour la plupart des vidangeurs de fosses, beaucoup retournent simplement à la vidange manuelle en catimini, ou se rendent dans les zones rurales à la recherche de travail.

Les moyens de subsistance alternatifs sont-ils une option viable ?

Notre étude a révélé des cas encourageants dans lesquels d'anciens vidangeurs manuels avaient trouvé d'autres moyens de subsistance, notamment dans le petit commerce (comme la conduite d'auto-rickshaw), l'application de la loi ou des rôles administratifs. Les jeunes hommes et femmes des communautés Harijan sont également de plus en plus instruits et cherchent des moyens de subsistance différents de ceux de leurs parents et grands-parents.

Des ONG telles que HEKS-EPER, Gram Bikash Kendra et Eco-Social Development Organization ont joué un rôle clé en aidant les travailleurs à trouver des alternatives, en leur fournissant une éducation, une formation technique et professionnelle et un soutien de carrière. Malgré ces progrès, le manque de perspectives d'emploi signifie que les jeunes hommes et les jeunes femmes continuent d'abandonner l'école pour subvenir aux besoins de leur famille grâce à un emploi rémunéré ou non. Pour les jeunes garçons, cela peut signifier suivre les membres masculins de la famille lorsqu'ils vont « dans les fosses », et ce dès l'âge de sept ans.

L'âge n'est pas important ici. Mais la pauvreté l'est. C'est la pauvreté qui nous faisait travailler dans les fosses.

– vidangeur homme, à Saidpur.

Un marché du travail hautement compétitif signifie également que les jeunes hommes des communautés Harijan et, de plus en plus, musulmanes, se lancent à nouveau dans la profession pour gagner un revenu supplémentaire.

Bien que nous ayons constaté que les femmes et les filles aident également leur famille à vidanger les fosses (par exemple, en portant des seaux, une mauvaise pratique qui manque d'informations et souvent non rémunérée), ou à nettoyer les latrines privées des maisons voisines, la plupart des participantes à l'étude étaient employées comme balayeuses de routes ou collectrices de déchets solides dans les municipalités locales, ou comme femmes de ménage.

Les programmes de développement des compétences, notamment la fabrication de paillassons ou de sacs en papier, la confection de vêtements, l'engraissement de poulets ou de chèvres et les initiatives d'épargne ont cherché à élargir les possibilités d'emploi. Cependant, les participants, hommes et femmes, ont souligné le harcèlement auquel ils ont été confrontés lorsqu'ils ont tenté de travailler en dehors des professions prescrites par la stigmatisation des castes. De nombreux jeunes ont également rapporté avoir été ridiculisés en raison de leur langue ou de leur lieu de résidence car les dialectes mixtes (distincts du bengali) sont principalement parlés à la maison dans les communautés Harijan, et beaucoup vivent dans des colonies où règne la ségrégation (un héritage du colonialisme britannique), avec des régimes fonciers et des modes de logement souvent incertains. Comme l'a fait remarquer un dirigeant de la communauté Harijan de Thakurgaon lors d'une interview :

Une personne qui a obtenu une maîtrise travaille comme balayeur. Il a postulé pour un poste d'opérateur informatique... mais quand ils ont vu que son adresse se situait dans la colonie de balayage, sa candidature a été rejetée.

Des incidents similaires ont également été signalés à Dhaka. Le manque de capital de départ, l'internalisation de la stigmatisation sociale et le besoin de gagner de l'argent maintenant (plutôt que de passer du temps à suivre une formation) sont autant d'obstacles qui empêchent les travailleurs de trouver un autre emploi.

A group of women discussing livelihood challenges with the research team in Thakurgaon, Bangladesh.
Des femmes discutant des problèmes de subsistance avec l'équipe de recherche à Thakurgaon, au Bangladesh.
Image: Sally Cawood

Actions visant à améliorer les opportunités d'emploi pour les minorités au sein et en dehors du secteur de l'assainissement

Notre étude a mis en évidence plusieurs opportunités et points d'action par lesquels les gouvernements locaux et nationaux, les ONG et les activistes peuvent soutenir les vidangeurs manuels, leurs familles et leurs communautés maintenant, pendant la pandémie de COVID-19, et à l'avenir.

  • Promouvoir des alliances stratégiques entre les organisations d'EAH, de travail, de défense des droits des Dalits ou des minorités, afin de faire appliquer le droit du travail pour protéger les travailleurs et faire pression collectivement pour que la Loi Anti-discrimination du Bangladesh offre une protection juridique contre la discrimination (une priorité essentielle pour les travailleurs des communautés Harijan).
    En lien avec cela, promouvoir l'éducation et la formation des jeunes, en particulier, pour les aider à sortir des professions hautement stigmatisées et à trouver des moyens de subsistance alternatifs ou améliorés.
  • Promouvoir une approche inclusive de la gestion des boues de vidange (GBV) afin de s'assurer que les communautés marginalisées ne sont pas laissées pour compte dans les interventions d'assainissement, y compris le lobbying collectif pour une augmentation des budgets GBV et déchets solides afin de permettre la création d'emplois permanents ; l'incorporation d'une formation à long terme (plutôt que ponctuelle) pour intégrer les travailleurs dans les programmes GBV nouveaux et existants ; ou des plans de transition pour des moyens de subsistance alternatifs (en dehors du travail d'assainissement). En outre, faire pression sur le Gouvernement pour obtenir des programmes de sécurité sociale, de logement et d'emploi pour les travailleurs de l'assainissement. Les plateformes multi-organisationnelles comme le Réseau GBV du Bangladesh (Bangladesh FSM Network) peuvent jouer un rôle déterminant à cet égard.
  • Soutenir le leadership et la collectivisation à la base, afin de garantir que les vidangeurs manuels soient en mesure de placer leurs demandes au premier plan du plaidoyer, de la politique et de la planification dans les GBV. Cela pourrait impliquer la formation de leaders masculins et féminins (en particulier des jeunes) et l'organisation collective des travailleurs par le biais d'associations, de coopératives ou de syndicats de travailleurs de l'assainissement. Comme cela a été démontré ailleurs au Bangladesh (PDF), les coopératives peuvent être enregistrées (par les autorités gouvernementales) en tant qu'institutions formelles pour fournir des services de nettoyage aux municipalités, aux corporations urbaines et aux communautés à faibles revenus par le biais d'accords de niveau de service. Dans le même temps, les travailleurs organisés et les organisations de soutien peuvent utiliser ces plateformes pour créer des liens avec des institutions financières telles que les banques, les institutions de microfinance, les agences d'assurance et d'autres associations commerciales ou professionnelles, afin de renforcer la pérennité. Les organismes décisionnaires comme l'Association municipale du Bangladesh devraient jouer un rôle de premier plan dans l'extension de ces réseaux et de ces liens.
  • Enfin, comme l'a montré la pandémie de COVID-19, de fortes initiatives de plaidoyer auprès des gouvernements sont essentielles pour assurer la sûreté et la sécurité des travailleurs de l'assainissement, (en particulier les vidangeurs de fosses marginalisés), et ce, pendant et après la pandémie. Étant des agents de première ligne pour la protection de la santé environnementale, ils doivent être prioritaires en matière de lutte contre la COVID-19, y compris en matière de vaccinations. Là encore, il faudra que de multiples agences nationales et internationales travaillent ensemble pour obtenir un changement durable.


Ces actions s'inscrivent dans le cadre d'un programme permanent de lutte pour un travail décent dans l'assainissement urbain. Pour en savoir plus, consultez La santé, la sécurité et la dignité des travailleurs de l'assainissement. Sally Cawood est Collaborateur de la Fondation des Défis Mondiaux à l'Université de Sheffield, au Royaume-Uni. Ce blog fait partie du projet de Sally sur le travail d'assainissement en Inde et au Bangladesh. Malisha Farzana et Faisal Naeem, diplômés de l'Université de Dhaka, au Bangladesh, ont été assistants de recherche dans ce projet. Hossain I. Adib est Directeur des programmes à WaterAid Bangladesh.

Image du haut : Sajib revenant d'un travail manuel de vidange de fosse avec un seau, une pelle et un vélo (pseudonyme utilisé pour protéger l'anonymat).