Tirer des leçons des innovateurs tanzaniens

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Lorsque les entreprises trouvent les moyens de relever les défis posés par l'assainissement, ce ne sont pas uniquement les propriétaires qui en profitent. Rémi Kaupp, spécialiste de l'assainissement urbain chez WaterAid UK, analyse le succès de deux entrepreneurs tanzaniens qui ont changé la façon dont fonctionne l'assainissement à Dar es Salaam.

Il y a quelques mois, des collègues tanzaniens et moi-même avons travaillé sur une nouvelle phase d'un programme très excitant : la vidange des latrines. Comme l'a brillamment expliqué ma collègue Clare Haule lors du congrès de l'Association africaine de l'eau (AAE) à Nairobi, au Kenya, en février, il a fallu beaucoup de temps pour trouver des solutions concernant les latrines pleines qui envahissent les rues des quartiers informels de Dar es Salaam. Les grands camions-citernes à boues ne peuvent pas accéder à ces zones et les habitants ne peuvent pas assumer le coût de leur service. Le travail est laissé à des vidangeurs illégaux qui interviennent manuellement dans des conditions déplorables.

Cette initiative a commencé il y a presque dix ans avec les premiers tests de la pompe Gulper ; plus récemment, plusieurs méthodes d'entrepreneurs locaux à petite échelle ont été testées, afin d'évaluer si la vidange des fosses peut constituer une activité viable. L'année dernière, nous avons partagé les leçons que nous avons pu tirer avec d'autres ONG faisant un travail similaire. Par exemple, nous avons testé différents modèles financiers, types de groupes d'entrepreneurs et moyens d'atteindre les clients. Tout n'a pas fonctionné, bien sûr, mais nous sommes désormais plus à même de dire ce qui est prometteur et ce qui ne l'est pas.

Deux entrepreneurs en particulier ont connu un grand succès : M. Millinga d'Umawa et M. Mhando de Numagro. Tous deux ont développé leur activité initiale qui consistait à collecter des ordures et ont pu intervenir dans des quartiers entiers de la municipalité de Temeke avec leurs pompes de vidange de fosse, tout en proposant un tarif abordable permettant aux résidents les plus pauvres de profiter de leur service. Ces hommes ont eu un impact sur les politiques, la planification et les services d'assainissement de Dar es Salaam car depuis, l'une des municipalités a lancé des appels d'offres pour ce type de service dans de nouveaux quartiers. Ils ont également eu un effet sur les prêteurs, car plusieurs institutions de microfinance locales ont accordé des prêts permettant aux entrepreneurs d'acheter des équipements et continuer à se développer.

La clé de leur succès

Il est important de noter que Millinga et Mhando ne cessent d'innover. Pour eux, l'innovation ne consiste pas seulement à essayer différents types de pompes et de systèmes de traitement (même si cela reste important), mais aussi et surtout à trouver des solutions pour améliorer l'entreprise elle-même. En voici trois exemples :

  1. M. Millinga a négocié des contrats avec des maisons d'hôtes et des restaurants  à qui il propose un nombre de vidange illimité moyennant une redevance mensuelle. Cela lui assure un revenu stable et lui permet de ne pas dépendre des particuliers qui font appel à lui principalement pendant la saison des pluies.

  2. M. Mhando a été confronté au problème de la « pêche aux déchets solides » : les latrines sont également utilisées comme poubelles, notamment pour des objets que les gens trouvent embarrassants (par exemple les préservatifs, les serviettes hygiéniques et les couches) qui doivent être retirés à l'aide d'un crochet avant qu'une pompe puisse être utilisée. Il perdait du temps et de l'argent avec ce processus fastidieux, jusqu'à ce qu'il commence à le proposer comme un service à part entière. Aujourd'hui, les gens font appel à ses services uniquement pour enlever les déchets des fosses.

  3. M. Millinga a créé un « centre d'excellence » où d'autres entrepreneurs et vidangeurs peuvent en savoir plus sur les technologies utilisées. Bien que la formation des concurrents puisse sembler contre-productive, elle a attiré l'attention des autorités et de la compagnie municipale des eaux, contribuant à intégrer l'amélioration de la vidange des fosses et l'élimination progressive des vidanges dangereuses dans la loi.

Les deux entrepreneurs ont partagé leur expérience avec mes collègues lors d'un atelier en janvier, au cours duquel nous nous sommes efforcés de tirer des leçons de la Tanzanie et d'autres pays, et avons chercher des idées pour développer les entreprises de gestion des boues dans d'autres quartiers. Nous avons examiné les nouvelles technologies de vidange et de traitement, les institutions de financement, les modèles économiques et les moyens d'impliquer davantage la compagnie des eaux.

De mon point de vue externe, la principale leçon à tirer est la suivante : ces petites entreprises prennent de gros risques en s'aventurant dans le domaine obscur de la gestion des boues, en essayant de nouvelles pompes sans garantie de succès, en convainquant les habitants de modifier leur comportement à l'égard d'un sujet encore très tabou, etc. Notre rôle en tant qu'ONG, avec nos bailleurs de fonds, devrait donc être de réduire ces risques autant que possible, en en assumant certains nous-mêmes. Ce rôle constituera une part importante de notre approche dans la nouvelle phase de ce programme.

Retrouvez Ramie Kaupp sur Twitter : @RemKau