La gestion des boues de vidange - un chemin critique vers un assainissement géré en toute sécurité

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La plupart des habitants des villes d’Asie du Sud utilisent des toilettes qui ne sont pas reliées aux égouts. La population urbaine mondiale devant doubler d’ici 2050, il est de plus en plus urgent de garantir une élimination sûre des déchets. Jaison Thomas, responsable régional du financement de WaterAid pour l’Asie du Sud, analyse le discours sur les boues de vidange dans la région, en se référant aux délibérations de la Conférence sud-asiatique sur l’assainissement (SACOSAN) VII à Islamabad.

L’élimination de la défécation en plein air n’est que la première étape destinée garantir que chacun dispose de services d’assainissement gérés en toute sécurité, comme indiqué dans l'Objectif de développement durable (ODD) 6. En Asie du Sud, où la plupart des gens utilisent des toilettes sur place et où la couverture des égouts est limitée, la gestion des boues de vidange (GBV), qui implique tout de la vidange des fosses de matières fécales et du transport des boues jusqu’au traitement et à l’élimination est essentielle pour garantir des services gérés en toute sécurité.

Les objectifs de l ODD 6 concernent l’assainissement au-delà de l’accès aux toilettes, pour inclure une gestion sûre des excréments. Le rapport du JMP 2017 a montré que 4,5 milliards de personnes n’ont pas accès à un système d’assainissement sûr. Les pays d’Asie du Sud ne sont pas mentionnés dans ce rapport en raison du manque de données. La compréhension et la mise en œuvre d’options pour une gestion sûre des excréments est une étape importante vers la réalisation des ambitions des ODD.

Lors de la Conférence de l’Asie du Sud sur l’assainissement (SACOSAN) VII d’avril, les gouvernements d’Asie du Sud ont reconnu l’importance de la GBV. Mais il reste encore beaucoup à faire pour comprendre pleinement ce qu’il faudra accomplir dans le contexte sud-asiatique, notamment ce que cela signifie pour la planification à long terme, l’élaboration de cadres politiques appropriés, la mise en œuvre de solutions évolutives et la garantie de ressources financières adéquates. Les pays de la région ont besoin d’un changement radical dans l’établissement des priorités politiques et le financement de la GBV, ainsi que de systèmes de suivi solides, d’échanges de connaissances et d’encouragement des innovations.

Le cas de la GBV en Asie du Sud : un coût énorme

Plus de la moitié des ménages urbains dans six des huit pays de la région dépendent de l’assainissement sur place (Sri Lanka 87 %, Bhoutan 75 %, Bangladesh 65 %, Afghanistan 67 %, Népal 65 %, Inde 54 %, Pakistan 22 %, Maldives 1 %)1 plutôt que des égouts, avec une tendance croissante à l’utilisation de fosses septiques. Il n’existe pas de données crédibles sur la fréquence de l’évacuation, du traitement et/ou de l’élimination sûre des boues de vidange, ce qui indique d’une certaine manière l’écart entre la politique, le service et le suivi.

Aujourd’hui, en Inde, le pays le plus peuplé d’Asie du Sud, environ 50 % des ménages urbains sont raccordés à des réseaux d’égouts et 41 % dépendent d’installations sanitaires sur place (recensement, 2011). Les évaluations réalisées dans certaines villes ont montré qu’une part importante des eaux usées qui entrent dans le réseau d’égouts n’est pas traitée. Et une grande partie des boues de fosses septiques (boues d’épuration) générées par les installations sur site est évacuée, sans traitement, dans les plans d’eau, les égouts, les décharges, les terrains vagues, etc.

Roton Chandra Das devant leur unique toilette qui est utilisée quotidiennement par 30 personnes. Gojaria Para, Gazipur, Bangladesh.
Roton Chandra Das devant leur unique toilette qui est utilisée quotidiennement par 30 personnes. Gojaria Para, Gazipur, Bangladesh.
Image: WaterAid/ H&M Foundation/ GMB Akash/ Panos

La situation est similaire dans d’autres pays d’Asie du Sud, causant un large éventail de problèmes environnementaux et sanitaires, qui touchent de manière disproportionnée les plus pauvres. La Banque mondiale estime le coût régional d’un assainissement inadéquat (en termes de décès, de maladies, de perte de temps, d’éducation, de productivité, etc.) à la somme énorme de 65 milliards de dollars, ce qui équivaut à environ 6 % du PIB des pays d’Asie du Sud. Les ménages urbains du quintile le plus pauvre supportent les impacts économiques par habitant les plus élevés d’un assainissement inadéquat de 1 700 roupies (37,55 dollars) - plus du double de ceux du quintile le plus riche - en raison de leur manque de capacité à résister à l’impact cumulé de pertes multiples.

Le groupe de réflexion mondial Boston Consulting Group rapporte que la population urbaine mondiale devrait doubler d’ici 2050, avec environ 35 % des personnes vivant dans des bidonvilles.2 L’examen de cette tendance dans le contexte de l’Asie du Sud soulève le besoin urgent d’une action concertée des gouvernements nationaux pour combler les lacunes en matière de politique d’assainissement urbain, de planification et de services inclusifs.

Le besoin actuel et futur d’un meilleur assainissement urbain dans la région plaide en faveur de solutions d’assainissement sur site et de solutions d’égouts, soit dans des systèmes décentralisés (comme les stations d’épuration des boues de vidange), soit dans des systèmes centralisés (stations d’épuration des eaux usées). Une combinaison de solutions permettrait de répondre aux diverses réalités auxquelles les villes sont confrontées (terrain difficile, manque d’espace, population dispersée, etc.) et de garantir que chacun bénéficie d’une prestation de services d’assainissement adéquate.

Planification à l’échelle de la ville

Il est urgent d’adopter des approches globales à l’échelle des villes pour gérer en toute sécurité les déchets humains tout au long de la chaîne d’assainissement. Cela nécessite une planification à long terme, une réforme institutionnelle comprenant un cadre politique et réglementaire approprié, le renforcement des capacités, l’innovation technique et la mobilisation financière.

Bien que les pays d’Asie du Sud reconnaissent l’importance de la GBV et son retard, ils pourraient poser une question cruciale : "Comment mettre la GBV en pratique ? L’étude de WaterAid A tale of clean cities : Insights for planning urban sanitation from Ghana, India and Philippines montre comment trois villes ont réalisé des progrès vers un assainissement urbain pour tous. Parmi les principaux moteurs de ces progrès, on trouve le leadership politique, les défenseurs de l’assainissement au niveau municipal, la collaboration et les ressources.

Diagram showing the sanitation chain from capture to reuse.
La chaîne de l’assainissement
Image: Adapted from 'Sanitation Value Chain' by Bill & Melinda Gates Foundation (BMGF).

Les acteurs du secteur de l’assainissement et les dirigeants politiques en Asie du Sud doivent encourager de tels moteurs pour faire de « l’assainissement pour tous à l’échelle de la ville » une réalité, et la planification doit être adaptée à la phase de développement de l’assainissement dans la ville. En outre, une série d’outils (notamment des diagramme de flux des matières fécales, le SaniPlan, une boîte à outil GBV, et le Prognosis for change) peuvent être adaptés à la planification de l’assainissement à l’échelle de la ville.

Notes de discussion du SACOSAN

La discussion en plénière lors de la manifestation parallèle de SACOSAN VII GBV, organisée par WaterAid et impliquant des représentants clés des gouvernements et des experts en la matière, a indiqué que, bien que la plupart des pays reconnaissent la GBV en tant qu’étape critique vers l’objectif final d’un assainissement géré en toute sécurité pour tous, un long chemin reste à parcourir pour atteindre cet objectif. Ils semblent se tourner vers les villes occidentales avec une couverture de 100 % des égouts et des stations d’épuration des eaux usées comme objectif final, et vers la GBV comme étape intermédiaire vers cet objectif. Cependant, cette approche continue à faire l’objet d’un débat sérieux parmi les experts et les décideurs politiques en matière d’assainissement urbain.

Certains pays ont évoqué les mesures nécessaires pour garantir que les stations d’épuration existantes deviennent pleinement fonctionnelles, tandis que d’autres ont parlé de leur expérience de pilotage de GBV dans certaines villes.

Les représentants des pays ont présenté quelques remarques spécifiques :

  • Le Pakistan a souligné la nécessité de régler les problèmes techniques affectant la fonctionnalité des stations d’épuration existantes. La question de l’acquisition de terrains pour des stations d’épuration similaires pour les villes est un défi majeur, et il est nécessaire d’examiner les systèmes appropriés afin de garantir que les boues de vidange sont traitées ou éliminées en toute sécurité.
  • Le Népal a reconnu qu’il en était encore aux premiers stades d’expérimentation de la GBV et qu’il chercherait à aller de l’avant en pilotant des solutions de traitement appropriées, tout en mettant en place le cadre institutionnel et réglementaire nécessaire.
  • L’Afghanistan a donné des détails sur sa station pilote de traitement des boues de vidange à Kaboul, sur la pertinence de cette station compte tenu du terrain et de la dispersion de la population, et sur son projet d’étendre des approches similaires à d’autres villes du pays.
  • Le Sri Lanka a confié que les stations de traitement des boues de vidange, soutenues par des directives politiques et réglementaires, ont été un élément essentiel de leurs plans d’assainissement à l’échelle de la ville depuis un certain temps. Ils cherchent à étendre cette approche à d’autres villes et étudient des modèles de développement commercial utilisant des options de traitement et de réutilisation appropriées.
  • L’Inde a décrit le rôle actif de la société civile, par l’intermédiaire du réseau de GBV, pour inciter le gouvernement à faire avancer la politique, le financement et l’action sur le terrain. De nombreuses grandes villes indiennes mettent en œuvre le co-traitement en tant que partie des stations d’épuration des eaux usées, tandis que les petites municipalités se penchent sur les stations de traitement des boues de vidange.

L’événement parallèle a créé une certaine réflexion et une bonne volonté parmi certains des principaux acteurs gouvernementaux dans chaque pays, leur permettant de reconnaître le problème et de partager les connaissances et les bonnes pratiques.

Il reste encore du chemin à parcourir avant que les dirigeants politiques n’appuient la GBV en tant qu’élément essentiel de la planification, du financement et de l’action sur le terrain dans le domaine de l’assainissement à l’échelle de la ville.

En attendant, il est important que les acteurs de la société civile comme WaterAid et d’autres parties prenantes du secteur continuent à soulever la question ; à partager les bons modèles, innovants et évolutifs qui mettent clairement en évidence les avantages de cette approche, en particulier pour les pauvres ; et à assurer la santé et le bien-être de la communauté au sens large au niveau de la ville.

1 Programme commun OMS/UNICEF de surveillance (JMP) de l’approvisionnement en eau, de l’assainissement et de l’hygiène (washdata.org).
2 Assainissement urbain - pourquoi un portefeuille de solutions est nécessaire, document de travail du BCG, décembre 2014.