La Conférence des Nations unies sur l'eau va-t-elle changer la donne pour la crise EAH ?  

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A sign at the UNWC in New York reading '#WATERACTION'.
Image: WaterAid

La Conférence des Nations unies sur l'eau a donné lieu à plus de 700 engagements de la part de gouvernements locaux et nationaux, d'ONG et du secteur privé. Mais qu'est-ce que cela signifie vraiment ? Et ces promesses seront-elles tenues ? Claire Seaward nous fait part des principaux enseignements tirés de l'UNWC et se demande si ces engagements peuvent accélérer l'action en faveur de l'accès à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène pour tous, partout dans le monde.

Il y a deux semaines, des milliers de personnes venues du monde entier se sont réunies à New York, aux États-Unis, pour la Conférence des Nations unies sur l'eau (UNWC) – la première réunion de ce type depuis près d'un demi-siècle. Le sommet historique de 1977 a permis d'établir le premier plan d'action des Nations unies sur l'eau. En 2023, alors que la réalisation de l'objectif de développement durable 6 (ODD 6) sur l'eau et l'assainissement affiche un retard préoccupant, cette nouvelle conférence était une occasion vitale de changer de cap et d'accélérer les progrès pour garantir un accès à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène (EAH) durables et sûrs, partout, pour tous.

L'UNWC sur l'eau a donné lieu à plus de 700 engagements de la part de gouvernements locaux et nationaux, d'ONG et du secteur privé. Mais qu'est-ce que cela signifie vraiment ? Et ces promesses seront-elles tenues ? Si nous examinons encore la manière dont ces engagements contribueront à la réalisation des objectifs, voici les principaux enseignements que nous avons tirés de cette conférence.

1. L'importance de l'eau a été démontrée, mais la redevabilité fait défaut 

La conférence a permis de reconnaître l'importance mondiale de l'eau. Cependant, si pas moins de 700 engagements ont été pris par des partenaires de développement, des entreprises, des gouvernements et des organisations non gouvernementales, et aucun d'entre eux n'est contraignant. Sans un ensemble plus ciblé d'accords contraignants et sans une vision claire qui rassemble le secteur de l'eau et ses parties prenantes, il est difficile de voir comment de véritables progrès pourront être réalisés.   

Le nouvel envoyé des Nations unies pour l'eau, dont le poste a été annoncé lors de la conférence, jouera un rôle déterminant dans le renforcement de la notion de redevabilité. Mais avec l'aggravation des crises climatiques, sanitaires et économiques mondiales, il reste peu de temps pour redresser le cap. Il n'est pas possible d'attendre la prochaine Conférence des Nations unies sur l'eau pour évaluer les progrès accomplis ; les personnes qui se trouvent en première ligne des crises climatiques et sanitaires ont besoin d'une action immédiate en matière d'eau, d'assainissement et d'hygiène. Nous avons besoin d'une redevabilité réelle pour ces engagements afin d'observer un changement transformationnel concret.  

2. Les enjeux EAH sont intersectoriels, mais assainissement et hygiène restent absents des discussions de financement

Il est encourageant de voir des discussions sur les demandes concurrentes d'eau dans différents secteurs – notamment l'agriculture, l'alimentation, l'énergie et l'industrie – et sur la manière dont cela affectera la sécurité de l'eau. L'eau est essentielle à la réalisation de tous les objectifs de développement durable et cette reconnaissance est cruciale. Il était également très positif de voir beaucoup plus d'intérêt sur les questions d'assainissement et d'hygiène dans les sessions sur la gestion des ressources en eau ; sans assainissement et sans hygiène, il n'y a pas de sécurité de l'eau pour tous.   

Mais cette attention accrue ne se traduit pas encore par des conversations sur un financement durable. On accorde encore trop d'attention aux investissements dans l'infrastructure de l'eau, et pas assez au financement des services d'eau, d'assainissement et d'hygiène. Les infrastructures font partie intégrante de cet enjeu, mais il faut aller plus loin dans le renforcement des systèmes et le changement des comportements.  

A collage of artwork produced at a UNWC event.
A collage of artwork produced at a UNWC event about honouring ancestral knowledge to ensure sustainable and adaptive water management for climate change. Image: WaterAid

3. Les liens entre l'eau, l'assainissement, l'hygiène et le climat sont mieux reconnus 

Il est encourageant de constater que la corrélation entre eau et climat a été abordée, compte tenu de son importance dans les discussions de l'agenda mondial. Il est clair que les gouvernements considèrent l'UNWC comme un tremplin sur la route de la COP28, avec des appels pour que l'eau soit fermement inscrite à l'ordre du jour. Cela doit conduire à la réunion des enjeux de climat, d'environnement et de biodiversité, en reconnaissant que l'eau les relie et qu'elle est cruciale pour eux. 

La campagne pour l'eau et le changement climatique de WaterAid veille à ce que les besoins des populations en matière d'eau, d'assainissement et d'hygiène (EAH) fassent partie de ce programme plus large sur l'eau et le climat. Il était très encourageant de voir des pays comme le Brésil faire valoir que, sans le programme EAH, les populations ne seront pas en mesure de s'adapter correctement au changement climatique. Cependant, il reste encore beaucoup à faire : l'assainissement doit encore occuper une place plus importante dans les discussions sur le climat – un point que nous examinerons dans le cadre de notre programme pour la COP28. 

4. Le programme EAH et la santé ont été étonnamment peu abordés 

Étant donné que la santé était un dialogue thématique officiel et que 1  milliard de personnes dans 43 pays sont menacées par le choléra dans l'épidémie mondiale actuelle, il était surprenant que le rôle du programme EAH dans la prévention et la réponse aux problèmes de santé ne fasse pas l'objet de plus de discussions, au-delà des champions de ce combat dans des organisations telles que l'OMS et l'UNICEF. La proposition de résolution des Nations unies sur l'eau, l'assainissement et l'hygiène dans les établissements de santé est une bonne nouvelle, même si ses modalités doivent être plus claires. Cela permettrait de maintenir la dynamique de la résolution de l'Assemblée mondiale de la santé, qui se termine cette année. L'annonce par le gouvernement britannique d'un nouveau soutien de 18,5 millions de livres sterling pour renforcer le programme EAH et les systèmes de santé dans cinq pays d'Asie du Sud et d'Afrique subsaharienne a également été positive.  

La nécessité d'un leadership mondial plus fort sur cette question est évidente, en particulier pour traduire les engagements politiques bien établis en financements et en résultats concrets. 

Promotional materials on display at the UN Water Conference.
Promotional materials on display at the UN Water Conference.

5. Il faut maintenir l'attention sur les populations en première ligne 

Il est positif d'entendre la mention du droit à l'eau et à l'assainissement pour tous dans les déclarations finales de la conférence, mais nous devons encore faire beaucoup plus pour passer de la rhétorique à la mise en œuvre pratique d'approches fondées sur les droits humains et garantir la réalisation de ces droits. Cela s'explique sans doute en partie par le fait que les personnes qui détiennent les solutions – celles qui sont en première ligne – ont beaucoup de mal à participer aux réunions de l'ONU. Bien qu'il y ait eu des moyens créatifs pour attirer le monde à la conférence – comme l'événement Hearing the Unheard – et des voix fortes et résolues lors de certains événements, la réalité est que le lieu où se tient la conférence en dit long sur l'étendue du problème. Tout le monde ne peut pas obtenir de visa pour les États-Unis et le système d'accréditation des Nations unies est prohibitif pour les organisations locales qui s'inscrivent pour participer, ce qui fait que peu d'entre elles ont accès aux mêmes espaces que les structures plus importantes. 

6. Le secteur privé s'engage davantage en matière d'action collective, mais reste à l'écart du secteur public 

Les partenariats et la collaboration ont été des mots-clés tout au long de la conférence. Nous savons que des progrès rapides sont possibles lorsque les politiques et les programmes EAH bénéficient de l'engagement et du leadership des instances nationales ; ces avancées peuvent être encore plus rapides avec le soutien des partenaires de développement et du secteur privé. Mais la réalité est que les secteurs privé et public sont encore très cloisonnés – et cette conférence n'a pas dérogé à la règle. Si les représentants des gouvernements ont pris la parole à l'ONU pour parler de la valeur et de la nécessité de la collaboration avec le secteur privé, les acteurs de ce dernier (entreprises et investisseurs en particulier) se trouvaient à l'extérieur de l'ONU pour parler de l'absence de leadership de la part du secteur public. Les discussions réunissant ces deux secteurs sont très rares, ce qui est pourtant essentiel si l'on veut s'entendre sur des collaborations concrètes et les réaliser.   

Toutefois, il existe des exemples de grande implication autour de l'action collective dans le secteur privé. Plus de 50 entreprises ont signé l'appel ouvert des chefs d'entreprise du Pacte mondial des Nations unies pour accélérer l'action dans le domaine de l'eau, et une nouvelle étape a été franchie dans l'investissement dans le Fonds d'accès mondial à l'équité en matière d'eau (Water Equity Global Access Fund IV). Cette dynamique offre la possibilité de trouver des ouvertures importantes pour travailler avec les gouvernements et les partenaires de développement.

Et maintenant, que faisons-nous ?

Il est facile de laisser derrière soi l'UNWC pour passer à la prochaine grande conférence – il y en a beaucoup de prévues cette année, où, sans aucun doute, le programme d'action issu de l'UNWC sera évoqué. Ce que nous savons, c'est que les personnes qui se trouvent en première ligne des crises climatiques et sanitaires ont besoin d'une action immédiate dans le domaine de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène ; elles ne peuvent pas attendre la prochaine conférence. 

Nous devons utiliser l'émulation générée par l'UNWC pour recentrer le secteur sur les grandes visions et les engagements clés. J'aurais préféré dix engagements contraignants plutôt que 700 engagements fragmentés ou non obligatoires. Ce niveau de focus et d'implication, avec toute la responsabilité nécessaire, est requis pour conduire un changement transformationnel concret. 

À mi-parcours avant l'échéance des objectifs de développement durable (ODD), les progrès restent bien trop lents. Il est de plus en plus urgent de relever les défis mondiaux qui vont se multiplier et s'aggraver au cours de la prochaine décennie. Notre vision est celle d'un monde où chacun, partout, dispose d'un accès à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène sûr et durable pour faire face à ces menaces. Lisez nos recommandations détaillées pour faire de cette vision une réalité.

Claire Seaward est directrice des campagnes mondiales chez WaterAid UK.

Image du haut : un grand panneau #WaterAction est affiché à l'extérieur de l'entrée du bâtiment du siège de l'ONU à New York pour la Conférence de l'ONU sur l'eau.