Trois choses que nous avons apprises en créant des diagrammes de flux des matières fécales
Comment obtenir une image complète de la manière dont une ville traite (ou ne traite pas) ses déchets ? Rémi Kaupp, spécialiste de l’assainissement urbain, ne jure que par les diagrammes de flux des matières fécales...
Pensez à votre ville. Des centaines, des milliers, voire des millions de personnes, qui vont aux toilettes, chaque jour. Savez-vous où tout cela va après ? Et, surtout, savez-vous quelle quantité est traitée ?
Dans de nombreuses villes où WaterAid travaille, la réponse est : pas vraiment. Les autorités peuvent avoir une estimation approximative de la proportion de personnes qui disposent de toilettes et savent également où se trouvent les stations d’épuration, s’il y en a, mais ce n’est pas tout.
Introduction : le diagramme de matières fécales
Pour avoir une vue d’ensemble, mes collègues ont utilisé l’un de mes outils préférés en matière d’assainissement : le diagramme de flux de matières fécales (aussi appelé SFD (shit-flow diagram), ou « diagramme de flux d’excréments », si vous préférez). Un SFD ressemble à l’image festive ci-dessous. Pour une ville donnée, les flèches vertes représentent les proportions d’excréments qui sont « gérées en toute sécurité » tout au long de la chaîne d’assainissement : des toilettes, en passant par une fosse ou une fosse septique, par les égouts ou les camions-citernes à boues, jusqu’aux stations de traitement et à l’élimination ou la réutilisation éventuelle.
Les flèches rouges montrent ce qui ne se passe pas comme il se doit : des égouts qui fuient, des stations d’épuration non fonctionnelles, des vidangeurs illégaux qui déversent des boues dans les rivières, des fosses pleines qui contaminent les eaux souterraines parce que les redevances trop élevées impliquent qu’elles ne sont jamais vidées, et les déchets des personnes qui n’ont même pas de toilettes décentes.
En plus de compléter le diagramme, les chercheurs (principalement des responsables du programme de WaterAid et des spécialistes urbains) produisent un rapport qui détaille le fonctionnement des services d’assainissement de la ville. Certains sont des SFD « légers » avec des rapports très courts, d’autres sont plus complets.
Chez WaterAid, nous avons réalisé près de 30 SFD, dont un grand nombre en 2018 grâce au financement de GIZ, y compris au Bangladesh, Burkina Faso, Cambodge, en Éthiopie, au Nigéria et au Pakistan. Vous pouvez les trouver tous sur le site SuSanA. Voici quelques éléments que nous avons appris.
1. Les SFD sont faciles à comprendre mais gênants à produire
Il est facile de visualiser le diagramme, et les rapports sont incroyablement utiles pour comprendre la qualité du système d’assainissement d’une ville. Leur production est différente. Un SFD commence par l’examen des données existantes, mais, très souvent, les autorités n’ont pas la même définition de « l’assainissement sûr » que nous, et ne disposent que de peu de bonnes données c’est pourquoi nous avons également eu besoin de réunions et de visites. Comme l’a dit Abdullah Al-Muyeed du Bangladesh, « Les discussions de groupe sont essentielles pour ajouter de la texture et de la crédibilité » à nos conclusions. ÀBattambang, Cambodge, les visites et les réunions ont aidé l’équipe à réviser le pourcentage estimé d’excréments gérés en toute sécurité de 6 % à 62 %.
Les groupes de discussion sont essentiels pour ajouter de la texture et de la crédibilité
Même dans ce cas, certaines estimations sont difficiles à calculer avec précision, bien que cela ne soit pas nécessairement un problème. Comme l’a dit le consultant Peter Hawkins lors de notre formation, « Des données précises ne sont pas toujours disponibles, et des estimations sont donc souvent nécessaires. Ce qui est plus important que l’exactitude, c’est la transparence sur la source des données et les hypothèses utilisées pour établir les estimations – comme base de discussion sur ce qu’il faut corriger ou améliorer. »
...ce qui est plus important que l’exactitude c’est la transparence sur la source des données et les hypothèses utilisées pour établir les estimations
2. Elles constituent un excellent moyen d’en apprendre plus sur l’assainissement urbain
De par leur nature, ces rapports et diagrammes ont obligé mes collègues à remettre en question leurs hypothèses sur l’état de l’assainissement dans les villes choisies. En conséquence, nous avons tous appris que les chaînes d’assainissement sont plus variées que nous le pensions : égouts à ciel ouvert menant à des stations d’épuration ; bons égouts détournés pour une réutilisation agricole (sans traitement !); diverses sortes de fosses qui peuvent ou non fuir dans le sol...
Le processus du SFD nous a également conduits tout naturellement à rencontrer les agences, les entreprises et les groupes communautaires les plus pertinents, ce qui nous a permis de développer de meilleures relations au cours du processus. Dans les endroits où nous n’avions pas développé de travaux d’assainissement urbain, ce fut un moyen relativement rapide de développer nos connaissances et notre réseau.
3. Elles ont de nombreuses conséquences inattendues
En mettant en évidence les problèmes des systèmes d’assainissement, les SFD ont eu de nombreux impacts, par exemple :
- ÀBilwi, Nicaragua, et à Babati, Tanzanie, nous avons utilisé les SFD pour préparer différents scénarios. Ceux-ci ont aidé les autorités et les bailleurs de fonds à envisager des alternatives aux grands et coûteux égouts, qui ne serviraient qu’à une poignée de résidents plus aisés.
- À Lahan, Népal, et à Kasungu, Malawi, nous avons mis en relation les compagnies des eaux britanniques avec leurs homologues locaux, et utilisé les SFD pour mieux comprendre la situation actuelle en matière d’assainissement.
- Au Bangladesh, nous avons réalisé des SFD dans neuf villes afin de mesurer les progrès et de contribuer à l’essor des améliorations, suite à la promulgation d’une politique nationale sur la gestion des boues de vidange.
Il y a plus : une meilleure coordination entre les acteurs de l’assainissement ; un soutien politique plus fort... trop d’effets pour que je puisse tous les citer ici. À mon avis, il n’y a pas de meilleure façon de lancer un travail d’assainissement urbain qu’en utilisant un diagramme de flux d’excréments. Parlez-en à vos amis !
Pour en savoir plus sur notre travail dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène en milieu urbain – et notamment des liens vers d’autres ressources utiles – consultez notre Cadre urbain.
Rémi Kaupp est le conseiller du programme d’assainissement urbain et de résilience de WaterAid UK. Suivez le sous @remkau